top of page

L'idée Claire

   Toute mon enfance, j'ai vu les femmes de ma famille réaliser des ouvrages en tissus, en fil cousu, brodé, crocheté ou tricoté…. Je n'ai pas appris avec elles le plaisir des « ouvrages de dames » car réfractaire à l'époque, de m'initier à ces techniques que je ressentais comme « vieillottes ».

 

   L'influence la plus précoce et la plus profonde est liée à ma mère, couturière de métier, puis professeur dans l'industrie de l'habillement, qui m'a entouré et enveloppé de tissus, de fils, de galons, de broderies, de merceries anciennes...Bien que m'éloignant naturellement de la couture traditionnelle et des travaux de dames , il m'est difficile de ne pas être impactée par les réalisations de ma mère. Sa dextérité et sa technicité m'ont toujours fascinées.

 

   Aujourd'hui, le matériau me rattrape tout en m'ayant toujours inconsciemment inspiré...ça devient une évidence et je me surprends même à ranger de vieux chiffons dans des « boîtes à ouvrages »...

 

   J'adore les greniers, les vieilles malles remplies de trésors textiles...Glaner dans la maison de ma grand mère a été un de mes passe-temps favori. Une vraie caverne d'Ali Baba où je découvrais de vrais trésors (coquillages, tissus, vieilles cartes et vieux écrits...plein de « bouts » de je ne sais quoi...)


   Après des études d'arts appliqués, une expérience professionnelle en design d'espace, en insertion socio-professionnelle puis une formation universitaire en Art-thérapie, j'ai choisi de m'intéresser à l'univers du textile dans mes créations. Bien que marqué par sa féminité intrinsèque (savoir-faire féminin, familial et professionnel), mon univers textile devient un mode d'expression se détournant de l’œuvre domestique utile. Avec certainement l'envie d'être l'héritière d'une passion maternelle, transmise non pas par un savoir faire, mais par une singulière sensibilité de la matière. Nourrie par le tissu et le fil, bercée par le bruit de la machine à coudre, mes productions respirent un univers textile passé. La mémoire des gestes de la main maternelle m'est familière. La précision du geste tout comme le soucis du détail se retrouvent dans mes réalisations. Mon travail laisse de côté certaines préoccupations de notre époque comme la vitesse, l'efficacité et la consommation. Le coté laborieux de ces « ouvrages de dames » me fascine. Le temps, la patience et l'économie s'immiscent dans mes créations.

   J'aime le rapprochement de l'art et de l'artisanat. Comme le dit Annette MESSAGER : « un point de couture peut-être très beau »...La couture impose un degré de contrôle...tels des points de suture....qui reprisent et cicatrisent la surface.

   Le lien étroit existant entre le tissu et l'homme fait de toute évidence de ce matériau une seconde peau, une enveloppe corporelle. Ce lien si particulier rend le tissu vivant et charnel. Certaines expressions nous le rappellent (le corps s'étoffe, le tissu cutané ou sous-cutané...). Le tissu est un matériau «tactile» comme la peau. C'est la peau qui va nous aider à construire nos limites, plus ou moins poreuses, entre le dedans et le dehors, comme nous l'explique Didier ANZIEU dans son ouvrage le « Moi-peau ».

   J'aime utiliser des tissus usagés et usés qui ont gardé des traces, des marques, des empreintes, (de la vie, du corps, ….). Comme des blessures...Ils gardent en mémoire . Et parfois les secrets sont bien gardés. Ils sont les témoins du passage du temps. L'usure, les déformations, les déchirures, les taches sont des témoins de vie. Elles racontent une histoire.

   Les taches devenues indélébiles s'attachent à une histoire de vie avec des souvenirs parfois douloureux. Je pars de ces traces, de ces marques initiales de "blessures"...et tout devient possible... selon mon intuition et/ou mes émotions.

   Utiliser les taches existantes (qui font parties de l'histoire du tissu) ou en créer d'autres ; comme une sorte de carte, sans planifier , sans idée préconçue quant à la façon dont les tâches apparaîtront. Quand la tache fuse sur le tissu humide, je ressens une perte de contrôle...je m'abandonne au résultat. Je « retrace » une histoire intime et singulière au gré de l'imaginaire dévoilé par la matière, une histoire de vie «perdue»...et je tente par mes créations de transmettre cette perte et ce sens de l'histoire. L'imagination et la sensibilité du « regardeur » fera le reste. Ce sont des histoires en « bouche cousue ». Je me plais à embellir les taches, à les transformer, à me servir des usures naturelles pour les sublimer. J'aime dessiner avec le fil...

   J’observe les traces de l’usage et du temps (y compris dans les traces d'un début de moisissure sur le bois d'une coloquinte sèche => l’empreinte de l’altération) , des mouvements répétés, de la déformation, de la création involontaire…je rêve et transforme le réel.

 

   Le dehors et le dedans (l'intérieur du corps, de la matière...) se confondent, tout comme l'infiniment grand et l'infiniment petit (organes, cellules, bactéries, planète...). J'aime le cercle, forme originelle, organique, cosmologique.

   Dans ma quête, les photographies et écritures anciennes, les vêtements et linges désuets inspirent et nourrissent mes créations.

   Ma matière première est faite de tissus et d'objets ré-utilisés qui gardent la mémoire de leur premier usage. Chaque matière suggère des images ou des souvenirs, racontant des histoires à réinventer…

   Entre récupération, détournement et décalage esthétique, mes réalisations illustrent la rencontre et la confusion des matières,…

  Mes productions sont intuitives, avec une attention particulière pour l’inutile, tellement indispensable.

   Je garde en mémoire un certain positionnement familial qui donnait un sens aigu à l'utilité des choses, pour servir un besoin...Ce qui a façonné une part de ma personnalité...je laisse une place toute particulière au temps, à l'inutile et à l'imaginaire pour rêver.

 

   Je préfère le mot créatrice à celui d'artiste...


 

ERREUR, ACCIDENT, HASARD, ET SÉRENDIPITÉ

« En ce qui me concerne, j’ai le sentiment que tout ce que j’ai pu faire de valable a tenu à quelque accident qui me fournit mon point de départ. A partir de cet accident qui désoriente la vision que je peux avoir de l’objet que j’ai tenté de saisir, je peux me mettre au travail et essayer de donner corps à quelque chose qui ne se situe plus sur le plan de l’illustration. » Francis Bacon


   Une couleur qui coule, une feuille qui se déchire ou se troue, un support qui se tâche...Tous ces imprévus faits de gestes involontaires, de matières résistantes, d'outils qui nous échappent…nous arrêtent souvent dans notre élan. Ils peuvent pourtant relancer un processus créatif. Ces imprévus auxquels nous sommes confrontés, nous offrent un nouveau choix et nous amènent à nous poser de nouvelles questions et réveillent souvent des émotions. Il est intéressant d'y être attentif.

© 2019  Claire Lebourg - Tous droits réservés   

Les photos présentées sur ce site ne sont pas libres de droits et sont interdites à la reproduction sans l'avis de l'auteur.

 

bottom of page